Charles E. Borden

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1978
Charles E. Borden

Carl Borden est décédé brusquement dans l’après-midi du jour de Noël 1978. Il souffrait depuis quelque temps de diabète, d’un cancer du poumon et d’une maladie cardiaque, mais il a continué à travailler à ses rapports archéologiques jusqu’à sa mort. Le matin de Noël, il avait terminé la révision d’un chapitre de livre sur l’art préhistorique de la côte Nord-Ouest auquel il travaillait depuis un certain temps. La violente attaque qui l’a emporté nous a privés du grand-père de l’archéologie de la Colombie-Britannique, surnom qu’il avait lui-même endossé. Il avait quarante ans au moment où il s’est sérieusement lancé dans l’archéologie, mais il s’est fait connaître et respecter dans ce domaine au cours des années qui suivirent.

J’ai fait la rencontre de Carl Borden en juin 1952. Il se tenait sur la rive de la rivière Stewart, sur le site du village préhistorique de Chinlac, lorsque j’arrivai à bord d’un petit bateau, en compagnie d’un autre étudiant, pour prendre part aux fouilles de ce site célèbre des Indiens Carrier, qui allaient poser les fondations de l’approche historique directe de la préhistoire de ces derniers. La plus grande partie du territoire de chasse des Carrier, dans le Parc Tweedsmuir, allait être inondée par la montée des eaux en amont du barrage hydroélectrique de Kemano, et le docteur Borden avait réussi à obtenir des fonds à la fois d’Alcan (la grande entreprise aluminière du Canada) et du ministère provincial de l’Éducation pour les sondages et les fouilles qui commencèrent en 1951 et se poursuivirent en 1952. Presque tous les étés, sans interruption, on le voyait sur le terrain en train d’effectuer des sondages, des fouilles ou de visiter d’autres projets, jusqu’à sa retraite en 1970. Son dernier travail de terrain fut de me rendre visite sur mon chantier de Namu en 1977, où il m’a aidé à fouiller une partie des assemblages microlithiques anciens du site. Son dernier article publié, dans Science, en 1979, se basait en partie sur ce travail. Au fil des ans, j’avais fini par bien connaître Carl Borden.

Charles Edward Borden est né à New York le 15 mai 1905. Son père était mort alors qu’il était bébé, et sa mère l’avait emmené en Allemagne où elle avait des parents qui pouvaient subvenir à ses besoins. Il y a grandi et y est resté jusqu’à l’âge de 22 ans, âge auquel il apprit, tout à fait par hasard, qu’il était né aux États-Unis. L’Ambassade américaine non seulement lui confirma qu’il était bien citoyen américain, mais elle l’aida en outre à décrocher un emploi sur un navire en partance d’Allemagne qui l’emmena aux États-Unis. Bien qu’il ait immigré au Canada en 1939, il n’est pas devenu citoyen canadien avant 1972. Pour lui, la raison de ce long délai était le sentiment de loyauté qu’il éprouvait envers les États-Unis qui l’avaient aidé à échapper à une Allemagne appauvrie par la guerre.

Il intégra l’Université de Californie à Los Angeles en études allemandes ; il y obtint son diplôme de premier cycle en 1931 et sa maîtrise en 1933, avant d’obtenir son doctorat en 1937 à l’Université de Californie à Berkeley. En 1939, il accepta un poste d’assistant professeur en études allemandes à l’University of British Columbia après avoir enseigné durant une courte période à Reed College à Portland. C’est lorsqu’il était à UCLA qu’il avait épousé sa première femme, Alice, de qui il a eu deux fils, John et Keith. Alice est décédée en 1971. Il a épousé sa seconde femme, Hala, en 1976.

Les travaux archéologiques de Carl Borden ont commencé en 1945, lorsqu’il a fouillé un petit site en retrait de la côte, à proximité de chez lui à Point Grey, dans lequel il a recueilli plusieurs poinçons en os, et rien d’autre. Il s’est ensuite tourné vers les nombreux amas de coquillages de cette même localité, fouillant les sites de Point Grey, Marpole, Locarno Beach et Musqueam. Ema Gunther parvint à lui faire obtenir une subvention de recherche du fond Agnes Anderson de l’Université de Washington pour qu’il puisse poursuivre ses fouilles au site Whalen à Point Roberts. En 1950, il publia trois articles sur ses travaux et, en 1951, sa première synthèse de préhistoire locale. Je lui ai demandé un jour pourquoi il s’était lancé dans la recherche archéologique locale, et il m’avait répondu qu’à force d’être sans cesse contrarié de ne pouvoir obtenir les exemplaires des ouvrages originaux qu’il demandait à la bibliothèque de l’UBC pour pouvoir approfondir ses travaux en études allemandes, il s’était tourné vers l’archéologie, à laquelle il s’intéressait depuis le temps où il était écolier en Allemagne et où il aidait son professeur à fouiller des sites de la culture de Hambourg. Son unique travail publié en études allemandes, à l’exception de sa thèse de doctorat qui portait sur le développement de la théorie et de la pratique théâtrale en Allemagne au XIIIe siècle, est un article de 1952 intitulé « The Original Model for Lessing’s “Der junge Gelehrte…” » paru dans un volume de mélanges offerts à l’un de ses professeurs de l’Université de Californie. Toutes ses autres publications appartiennent au domaine archéologique.

En 1949, il fut nommé chargé de cours en archéologie au Département de sociologie et d’anthropologie, tout en conservant son poste de professeur d’études allemandes. Devant l’énorme volume de travail qui restait à faire en archéologie locale, il tenta en 1950 d’abandonner les études allemandes pour se consacrer à plein temps à l’archéologie, mais il n’y parvint pas, peut-être en raison du poids de la tradition anthropologique britannique qui met explicitement l’accent sur le présent et l’avenir au détriment du passé. Après s’être efforcé de trouver des bonnes âmes pour soutenir sa cause, il finit par se laisser convaincre par le chef du Département et le président de l’Université de prendre la responsabilité de l’archéologie en plus de toutes ses tâches en études allemandes. Il ne tenta jamais par la suite de développer un programme universitaire complet en archéologie, mais à travers ses différents cours, ses projets de terrain et son enthousiasme, il parvint à inciter un certain nombre d’étudiants de l’UBC et d’ailleurs de se lancer dans cette profession. En 1954, il fut promu au rang de professeur d’allemand, mais il resta chargé de cours en archéologie jusqu’à l’année où il fut nommé professeur d’archéologie.

En 1951 et 1952, Borden passa de la côte à l’intérieur du pays, et de la recherche pure à l’archéologie de sauvetage dans le parc Tweedsmuir. Ce projet l’a conduit à élaborer le fameux « code Borden », système uniformisé de localisation des sites archéologiques, qui a été adopté dans la plus grande partie du Canada. En 1953, il prit un congé sabbatique en Europe et en revint armé de diapositives de peintures rupestres. Son travail à Kitsumkalem sur la rivière Skeena, suivi des premiers sondages autour du barrage de Libby, lui prit la plus grande partie de 1954. Les étés suivants, jusqu’en 1958, furent très occupés avec les fouilles à Beach Grove et Marpole, ainsi qu’avec les sondages le long de l’estuaire du Fraser. En 1959, il commença à travailler sur le site Milliken et d’autres sites à proximité de Yale, pour une durée de cinq ans. Les données issues de ces travaux représentent la plus importante contribution de Borden à l’archéologie. Ses travaux de terrain au cours des années suivantes consistèrent surtout en fouilles à Musqueam, en un travail supplémentaire au sud de Yale en 1970 et en des visites à d’autres chantiers.

Les contributions de Borden à l’archéologie ne se limitent pas à ses aspects universitaires. Wilson Duff et lui-même étaient conscients de l’urgente nécessité d’une législation sur le patrimoine archéologique, et grâce à leurs efforts, le parlement provincial promulgua la Loi sur la protection des sites historiques et archéologiques en 1960. En 1967, il succéda à Wilson Duff au poste de président du Comité conseil sur les sites archéologiques qui avait été créé suite à cette loi. Ce ne fut pas avant les années 1970, cependant, que le conseil, ayant surmonté sa propension à l’extrême parcimonie, devint enfin une organisation capable de répondre aux besoins du sauvetage archéologique. En 1977, une loi entièrement nouvelle fut promulguée. Borden se démit de ses fonctions de président et ne fut pas invité à siéger sur le nouveau comité provincial du patrimoine.

Les publications de Borden sont l’exact reflet de ses principaux centres d’intérêt en archéologie. Les synthèses historiques et culturelles, les rapports préliminaires sur les travaux de terrain et les articles dans les bulletins constituent la plus grande partie de son travail publié. Il s’intéressait avant tout à l’histoire culturelle et depuis 1951, il préférait les grandes synthèses aux simples rapports de fouilles. Le rapport de fouilles le plus détaillé qu’il ait jamais publié était celui portant sur les sites de Chinlac et du parc Tweedsmuir. Il avait toujours eu l’intention de rédiger les autres, mais, comme pour beaucoup d’entre nous, dès lors que nous comprenons la « signification » historique de nos découvertes, les aspects descriptifs et quantitatifs du travail deviennent fastidieux. Le fait qu’il n’ait eu d’aide financière que pour le travail de terrain exclusivement, couplé à sa réticence à publier ses données pour qu’elles soient analysées et décrites par d’autres, expliquent le petit nombre de ses rapports de fouilles. Cette absence était contrariante pour les étudiants et les chercheurs essayant d’évaluer ses idées. En 1975, je m’étais renseigné sur la possibilité d’obtenir le matériel issu de ses fouilles à Marpole entre 1948 et 1957 pour un étudiant rédigeant une thèse sur la culture de Marpole, mais on me fit savoir qu’il prévoyait d’écrire lui-même un ouvrage à ce sujet. La plupart des interprétation chronologiques et nombre des formulations taxonomiques de Borden ont passé le test des interprétations comparatives. Toutes, cependant, nécessiteraient la description exhaustive, la quantification et la publication des données originales sur lesquelles elles se basent. C’est sans doute en ayant cette idée en tête qu’il a créé un fonds pour donner des bourses à des étudiants travaillant à des thèses de doctorat sur l’archéologie et l’histoire culturelle de la côte Pacifique.

Les travaux de Carl ont reçu les honneurs officiels. Il a reçu la Médaille du centenaire du Canada pour services rendus au Canada et un diplôme honoraire de l’UBC. Lui et Norman Emerson ont été les premiers récipiendaires du prix Smith-Wintemberg de l’Association canadienne d’archéologie. En 1977, il a reçu la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II. Un mémoire de maîtrise (celui d’Ellen Robinson, à l’Université d’État de Portland) a été consacré à ses contributions à l’archéologie du Nord-Ouest. On a donné son nom à une bourse provinciale.

Carl Borden nous a laissé un héritage de données archéologiques et d’idées essentielles à la reconstitution de la préhistoire de la Colombie-Britannique. Ses techniques de fouilles méticuleuses, son dévouement et sa passion pour l’archéologie ont convaincu d’autres personnes de reprendre le flambeau.

Roy L. Carlson

Simon Fraser University

 La photographie de Carl Borden a été prise en 1959 par Roy Carlson sur le site du canyon du Fraser (DjRi-3) ; elle a été publiée auparavant par le Journal canadien d’archéologie (vol. 3, pp. 233-239).