Préservation du patrimoine archéologique sous l’échangeur Turcot

Cher Monsieur,

Comme vous le savez certainement, les recherches archéologiques réalisées depuis cet été dans le cadre du projet de reconstruction de l’échangeur Turcot ont mené à la découverte de vestiges archéologiques d’une valeur exceptionnelle. C’est en effet sous la structure de l’échangeur actuel que furent mises au jour les fondations de nombreux édifices trois fois centenaires constituant l’ancien quartier de Saint-Henri-des- Tanneries. Parmi ces vestiges se trouvent les murs de maisons et de tanneries datant d’aussi loin que l’an 1670, les canalisations de l’ancien ruisseau Glen qui drainait l’ancien lac à la Loutre, ainsi que des milliers d’artefacts de tous genres: des éléments d’architecture, des tonneaux de bois, des pièces de cuir, des outils de travail, de la vaisselle, des ossements d’animaux, un coffre-fort, des pièces de monnaie, des pipes de plâtre, des chaussures de cuir, des boutons de vêtements et même des jouets, témoignant des activités variées des hommes, femmes et enfants qui habitaient jadis ce quartier aujourd’hui enfoui. La conservation de ces vestiges est absolument remarquable et leur étendue spatiale est impressionnante.

Ces témoins uniques de l’histoire de Montréal ont fait l’objet d’une couverture médiatique peu commune et ininterrompue depuis l’annonce des premières découvertes plus tôt cet été. De nombreux citoyens du Sud-Ouest, de Saint-Henri et d’autres quartiers de Montréal ont manifesté leur grand intérêt envers ces vestiges, mais aussi leur plus profond désarroi face à l’annonce de leur destruction programmée à la fin des travaux. La consternation atteint aussi les cercles d’archéologues, d’historiens, d’urbanistes, de muséologues et de plusieurs autres professionnels ayant à cœur la conservation et la mise en valeur du patrimoine montréalais. Cette inquiétude trouve même écho chez nos collègues archéologues du Canada anglais, des États-Unis et d’Europe, tous abasourdis devant la disparition prochaine d’un ensemble patrimonial aussi vaste, rare et précieux.

Il se trouve pourtant que l’existence de ces vestiges est connue depuis longtemps, grâce aux documents d’archives et aux études de potentiel archéologiques réalisées dès 2008, il y a déjà plus de huit ans. Il nous apparaît alors très étonnant de constater que pendant toutes ces années, les responsables du projet Turcot n’aient pas crû bon d’intégrer ces vestiges dans leur planification. Certes, on nous promet la poursuite des fouilles archéologiques, l’entreposage des artefacts et un relevé 3D des structures avant leur destruction. C’est nettement insuffisant, vous en conviendrez. Il n’y a en effet aucun site comparable et jamais on ne pourra le recréer une fois détruit. Il fait partie de la mémoire historique d’une ville unique en son genre. Nous souhaitons donc solliciter votre appui afin de garantir sa survie.

On nous objectera – et peut-être à vous aussi – que les travaux sont trop avancés et que les coûts seraient trop élevés. Nous répondrons qu’il n’est jamais trop tard, et que l’histoire d’une ville n’a pas de prix. La Montréal, le 10 septembre 2015

conservation et la mise en valeur des vestiges archéologiques du quartier de Saint-Henri-des-Tanneries risqueraient même d’apporter une plus-value à l’ensemble du projet, comme c’est souvent le cas. Nous ne connaissons en effet aucun exemple d’intégration du patrimoine archéologique dans un projet de construction qui n’ait été couronné de succès. Absolument aucun. Il ne faut pas négliger le puissant message envoyé aux résidents: leur patrimoine compte ou ne compte pas? Leur offrions-nous l’opportunité unique de s’identifier aux précurseurs de leur arrondissement? Quel beau legs ce serait pour les habitants de ces quartiers défavorisés et trop souvent négligés...

Monsieur le maire, il n’y aura pas de deuxième chance pour sauver ces vestiges archéologiques. Il serait gênant, dommageable et paradoxal que les célébrations des 375 ans de Montréal soient marquées par la destruction de ce qui pourrait au contraire devenir l’un de ses plus beaux sites patrimoniaux. Nous souhaitons éviter une telle erreur. Pourrons-nous compter sur vous?

N’hésitez pas à nous contacter pour tout complément d’information sur ce dossier. Veuillez recevoir, Monsieur, nos plus cordiales salutations.

Christian Gates St-Pierre, Ph.D.
Président du Comité de défense de l’intérêt public, Association canadienne d’archéologie Chercheur invité, Université de Montréal

George P. Nicholas, Ph.D.
Professeur d’archéologie, Simon Fraser University
Directeur, Intellectual Property Issues in Cultural Heritage (IPinCH) Project

Moira T. McCaffrey, M.Sc. Archéologue et muséologue, Ottawa

Peter G. Ramsden, Ph.D.
Department of Anthropology, McMaster University

cc.: Madame Manon Gauthier, membre du Comité exécutif responsable de la culture, du patrimoine, du design, d'Espace pour la vie et du statut de la femme
Monsieur Benoit Dorais, maire de l’arrondissement du Sud-Ouest
Madame Anne-Marie Sigouin, conseillère de la ville, arrondissement du Sud-Ouest

Monsieur Craig Sauvé, conseiller de la ville, arrondissement du Sud-Ouest
Monsieur Guy Giasson, président de la Société historique de Saint-Henri
Monsieur Jean-Jacques Adjizian, archéologue, ministère de la Culture et des Communications Madame Lisa Rankin, présidente de l’Association canadienne d’archéologie
Madame Josée Villeneuve, présidente de l’Association des archéologues du Québec